Le 2 septembre 2023, à Tiguint, un groupe de délinquants, d’un âge tendre, s’attaque à un couple, installé dans l’intimité nocturne d’un véhicule. Les assaillants exigent une rançon, des deux infortunés, déshabillent la fille et lui infligent des outrages d’un indicible opprobre ; dépités de ne pouvoir soutirer assez de sous, ils filment des bribes de la scène, avant de les diffuser sur les réseaux sociaux. L’homme, débordé et avili face à la soudaineté tempétueuse du scandale, marmonne de menues protestations mais s’abstient de voler au secours de sa dulcinée. Par la suite, l’on apprit qu’il en est l’époux, au titre du mariage secret, l’une de nos curiosités matrimoniales où le droit perd ses lettres de noblesses et le juriste, son latin. Les cris de madame et les images de sa disgrâce brisent le cœur et suscitent la révolte. L’affront pouvait rester au stade du fait divers banalisé, si l’histoire et la sociologie ne s’en mêlaient.
Heureusement que la sédimentation des souvenirs parvient, toujours, à racheter, du moins rattraper la réécriture du passé et le braquage de la mémoire, ce double procédé d’escamotage par lequel prospère le crime. Ici, deux registres d’indignation s’entrecroisent ; qu’il me soit permis d’en dérouler l’ordre d’évidence décroissante, sans minimiser – loin de là – la conséquence du dernier.
1. Malgré une relative autonomie qui transcendait les clivages ethniques et les hiérarchies de l’Ancien, la femme, en Mauritanie, disposait d’un niveau d’immunité dont la singularité s’ancre dans une tradition d’amour courtois, de bienveillance patriarcale et de chevalerie. Quoique mineures selon les stipulations du statut personnel, nos mères, sœurs, filles et douairières chenues exerçaient, sur la société, ascendant et influence, pour le meilleur et le pire. Chez les hassanophones, les hommes, qu’ils fussent libres ou serviles, leur consentaient de la galanterie, beaucoup de pudeur, d’innombrables poèmes, l’exigence de la monogamie et la faculté du divorce facile.
Quand il se retirait du foyer, l’époux éconduit laissait, derrière lui, la tente et les meubles, comme une attestation d’honneur et solde de tout compte. C’était hier certes et nous nous garderons bien de regretter des antécédents d’ailleurs embouteillés d’abominations, tels le gavage, la pédophilie conjugale, l’esclavage, le cuissage et l’ensemble des inégalités de naissance. A raison, le temps d’aujourd’hui promet un saut qualitatif vers le bonheur et l’Etat moderne nous garantit le progrès. Cependant, voici la promesse trahie ; au vu de l’explosion des litiges de séparation, de garde des enfants et des statistiques de violences basées sur le genre (Vbg), l’effacement du legs des ancêtres produit une paradoxale régression. En ville, espace où vit désormais la majorité de la population, battre une dame, insulter une demoiselle ou abuser d’une fillette ne constitue plus l’acmé de la turpitude masculine.
Dès lors, des associations d’autodéfense bourgeonnent , en réaction à l’effondrement des repères ; en lieu et place de l’indulgence et de la convivialité, elles revendiquent, guère à tort, l’égalité des sexes, l’équité mécanique, sans atténuation, détours ni ruses de langage. Elles proclament, en substance, « nous reprenons notre dû universel, gardez vos bonnes manières, foin de faveur, nous voulons ce qui nous revient, en vertu de l’état de nature » ! Depuis 2014, elles s’efforcent d’obtenir, en vain, le vote d’un projet de loi qui conférerait, au contrat social, un minimum de protection contre la brutalité domestique ; en résultent, chaque année, des dizaines de viols et quantité de féminicides. Désemparée ou complice, la corporation des magistrats se retranche derrière le vide juridique et le respect des préceptes de la Charia, le gouvernement passe la copie au Haut conseil de la fatwa et des recours gracieux, tandis que le Parlement, sous influence du clientélisme électoral, attend…D’ici la délivrance, les femmes endurent, souffrent et meurent, en toute discrétion.
2. Qui est la victime ? La réponse à la question s’avère si bouffie d’épouvante, à ce point insoutenable qu’elle justifie la surdité. Ecoutez bien, il s’agit de Kahdijetou Mint Sid’Mhamed Ould Ahmed Lowleu, de la prestigieuse famille des griots du Trarza. Lorsque Sid’Mhamed reçoit l’étranger en son humble demeure, la frénésie de l’hospitalité fiévreuse le plonge dans un tournis d’ubiquité, de diligence et de compulsion : au milieu d’un concert de bienvenues, il se saisit de sa Tidinit, égrène le prélude de Ntemass, court dépecer le mouton sacrificiel puis, haletant, revient souffler sur le brasero où un thé infuse déjà. Sid’Mhamed assure ses devoirs d’accueil, d’une main de corps massif, que la générosité de sa caste et la pratique séculaire des arts ont affûtée ; du fil de la délicatesse à la raideur implacable de la fierté, il fourbit la lame de son entregent sans que l’euphorie lui coûtât. L’oncle de Khadijetou, feu Mokhtar Ould Ahmed Lowleu, frère du précédent troussait des vers de satire d’une redoutable truculence ; la société des gens de rime n’osait se frotter au talent d’icelui ni chatouiller son intolérance à l’irrespect.
Ah, s’il était encore là ! Quant à la défunte tante, Ayeu Mint Ahmed Lowleu, accorte prima donna aux festivités de proclamation de l’Indépendance, nul n’en décrivait mieux le mérite qu’un émir fameux. Comme d’usage au terme d’une réjouissance en l’honneur d’une députation coloniale, les griots recevaient des présents sous forme de numéraire. Le prince du moment, taquinant les chantres de sa cour, envoya un mandataire, pour percevoir sa part du cadeau et tester la disparité de leur dévouement. Chacun lui fit remettre, à contrecœur, quelques francs, de sa propre rétribution. Seule Ayeu lui concéda le contenu de l’enveloppe, sous pli fermé. Emerveillé par tant de libéralité, l’illustre mandant se fendit d’un quatrain, en prosodie du Bteit imparfait :
O, Seigneur, la fortune/accorde-s-en à Ayeu/afin qu’y prévale le consensus/ et règne la munificence
ياملانه لرزاق/ مكن منهم عيه/ باش اتم الوفاق/ فيهم والعطيه
Alors, quand je vis et entendis les pleurs de Khadijetou, Tiguiwit humiliée sur la terre de mes ancêtres et des siens, aussitôt me submergea un accès d’affliction et m’envahit la conscience lasse de ma diminution. Je ne possède le moyen de lui rendre justice et, de la sorte vaincu, ne me reste que le pis-aller d’un alignement de mots, en guise de colère et d’exutoire. Se sentir amoindri n’est agréable. Se savoir désavoué par son époque procure davantage d’inconfort. Aux fins de répartir la charge du déshonneur entre nos 4 millions de compatriotes et, ainsi, alléger le faix individuel de la vergogne, j’espérais une vague de protestation, de la part de nos élites, une clameur d’insurrection et de douleur, d’une ferveur à remuer le magma tellurique et hérisser le poil des humains. Non, alentour, le calme plat berce, l’océan de lâcheté, d’une brise d’indifférence flétrie. A l’exception des amazones du Collectif des féministes mauritaniennes (Cfm), seul, parmi ses pairs politiciens et notables, le député Biram Dah Abeid trouva l’expression du désarroi et le timbre de la sédition, devant l’énormité de la vilenie. Pourtant, ce n’était pas, ici, la première alerte.
Il y a peu, un cuistre récusait la licéité des formules de salut, à la mémoire de l’artiste décédé ; un autre, d’un acabit voisin, se vantait, le pauvre, de n’avoir jamais croisé le chemin d’un griot ; le troisième, redondant de morgue, prétendait, non avenue, la prière derrière un forgeron ou un descendant d’esclave. Qu’ont-ils en commun, les trois tartuffes ? Une barbichette, la sottise dévote et l’injonction républicaine de leur clouer le bec, sans délai. Vivement, qu’une légion de volontaires se charge de les rappeler à la politesse, il y va de la salubrité publique ! Je pressens l’imminence d’une volée de claques, le crissement de ciseaux aiguisés, le ronron d’une tondeuse…
Alors, vous, personnes de conviction et d’engagement, diplômés et autodidactes, analphabètes et graphomanes, ouvriers et oisifs, tireurs d’élite et de charrue, rêveurs et cyniques, religieux et esprits forts, abonnés à la gloire et gagne-petit, souris d’épicerie et rats de bibliothèque, dispendieux et économes, peuplades de la lumière, de la pénombre et du clair-obscur, humanité de l’entre-soi et de l’exhibition, de la demi-mesure et de l’effronterie, quelle réponse réservez-vous au sanglots déchirants de Khadijetou mint Ahmed Lowleu ; la gorge rompue de hoquets, elle vous lance, du haut de sa tragique condition de femme, citoyenne d’une république islamique, « rendez-moi ma dignité » !!! Est-ce trop réclamer ?
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