Une si belle trahison, si tant est que c’en soit une ! Cheikh Nouh

Juin 20, 2021 by deyloul

Traduit, pardon trahi, par Med Yahya Abdel Wedoud – Taqadomy Fr

Il est des noms qui se sont forgé une place de premier ordre au cénacle de la littérature par des œuvres et écrits dépassant, par leur renommée et leurs échos, l’étroit espace géographique nôtre.
Hélas, ils sont ignorés dans leur pays. Non pas à cause de la qualité de leurs textes et des thématiques soulevées. Mais, plutôt, du fait des obstacles et autres murs qui se dressent, décidément, entre les auteurs et leurs lectorats.
Nous ne saurions porter à ces plumes une quelconque responsabilité quant à leurs choix linguistiques et idiomatiques, particulièrement eu égard à ce qui s’en suivrait de rupture linguistique et de déficit de communication.
La raison en est que ces élites ont été formées en français. C’est en cette langue qu’elles ont acquis leurs connaissances et se sont abreuvées à la source nourricière des savoirs du monde. Par conséquent, il est logique que ceux-là écrivent en français.
De toutes façons, nous ne considérons pas le problème de la langue, aussi épineux soit-il, comme existentiel à ce point. Du reste, l’obstacle de la langue ne nous a guère empêchés de parvenir à lire tout de même Günther Grass, Nietzsche et Marx qui, pourtant, écrivent en allemand ! Et qui te dira ce qu’est l’allemand ?
La barrière linguistique ne nous dissuade point de lire Descartes, Foucault, Musset eux, de toute évidence, n’écrivaient pas en arabe, mais en français, et en un français savant.
Pas plus que de tels obstacles nous détournent de Bertrand Russell, Georges Orwell, James Joyce, pour s’en tenir à des écrivains anglo-saxons qui excellent dans la langue anglaise.
La question qui reste posée, n’est autre que celle de savoir comment sommes-nous parvenus à lire ces œuvres ? Évidente, la réponse s’impose d’elle-même : c’est grâce à la traduction !
En Mauritanie, où, en matière de langue, l’éducation connut maints bouleversements négatifs tout aussi inopérants les uns que les autres, à quelques années d’intervalle, un fossé abyssal intergénérationnel s’est creusé. Et pour cause ! Le système éducatif chaotique et la sempiternelle question de la langue deviennent un sujet de transactions et de surenchère dans les couloirs du jeu politique.
Si elle ne se transforme en facteur de division et de fracture sociale qui ne cesse de s’aggraver.
Ce fait crucial et terrible a, inéluctablement, donné naissance à une littérature mauritanienne d’expression française aliénée en son pays, en raison de l’éloignement, qui semble être le plus souvent délibérément provoqué par les décideurs. Et ils excellent dans l’art d’envenimer une situation qui n’en demande pas tant.
Aussi, plongent-ils le pays dans des conflits donquichottesques qui servent de machine à passer le temps, à broyer les gens, à produire ad vitam æternam, de sorte que ce soit perçu comme une dynamique vers l’avenir.
Il ne fait aucun doute que le projet de traduction des écrits du linguiste et poète Ousmane Moussa Diagana représenterait, à lui seul, s’il venait à être réalisé, un ajout qualitatif à la bien pauvre bibliothèque mauritanienne de langue arabe.
Il va sans dire que ce serait un pont vers une partie importante de l’identité mauritanienne, de même qu’une passerelle vers le contexte culturel local, auquel appartient Diagana, quand bien même les œuvres de ce dernier reflèteraient une vision culturelle plus globale et large.
Mbareck Ould Beirouk est un autre nom, tout autant menacé par l’oubli et la négligence, quoique, par sa renommée, il ait ébloui bien des horizons, et ait remporté des prix internationaux. Ses romans, d’une maturité déconcertante, sont marqués par l’expérience de la vie et la quête, à la faveur d’une profondeur culturelle enracinée dans l’espace et le temps.
On ne peut que rester cois et confus devant ces deux grands écrivains francophones dans notre pays. Leurs œuvres n’ont pas encore été traduites, pas plus qu’elles n’ont reçu l’attention requise.
Et pourtant ces illustres auteurs ont été bien reçus partout ailleurs. Il ne fait guère de doute que la traduction du roman de Beirouk « Je suis seul » en espagnol il y a quelques mois est le dernier évènement à cet égard.
Les italiens, aiment à faire usage de savoureuses figures de styles, à l’instar du célèbre dicton « traducere tradicere », locution latine qui signifie « traduire, c’est trahir ».
C’est davantage un jeu de mots, une paronymie. Si d’aucuns seraient tentés de le prendre au sérieux, nous dirions qu’à considérer que la traduction soit une trahison, ce serait alors une trahison belle, créative et nécessaire.
Qui trahira la littérature mauritanienne écrite en français et qui n’en est pas moins ancrée dans son environnement culturel, anthropologique et historique ?
Ce projet devra être porté par le ministère de la Culture ou l’Union des écrivains, mais existe-t-il vraiment une Union des écrivains ? Eux qui se querellent pour de l’argent ! Ils s’éloignent inexorablement de la création, de l’écriture et de la belle trahison également !
Une si belle trahison, si tant est que c’en soit une !

 

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