Traduit par Med Yahya Abdel Wedoud – Taqadomy Fr
Évoquer cet indien rouge, jailli à l’instant même d’un des romans réalistes mirifiques le plus ancrés dans le méta-pragmatisme, nécessite, indubitablement, un arsenal linguistique, un sixième sens, voire un septième, ou même un huitième sens, tant les ciels créatifs de cet écrivain sont ardus pour un aigle plus que téméraire !
Dans son roman, qui, d’entrée de jeu, promet plaisir et passion dès l’incipit : « À ma quatre-vingt-dixième année, je voulus m’offrir une folle nuit d’amour avec une adolescente vierge », de prime abord, Gabo quémande la raison et les sens de son lecteur par la plus aiguë de toutes les questions, par son rapport à la notion de temps, à travers la rencontre, ô combien improbable, entre un nonagénaire et une très jeune fille, tout juste nubile !
Ce faisant, l’auteur ouvre de nouveaux horizons sur d’autres sens aux concepts de vie, de corps, d’amour, de temps, imprégné de l’ambiance du roman « Les Belles Endormies » du japonais Yasunari Kawabata.
Marquez s’est inspiré de cette œuvre pour écrire la sienne, de ses mixtures magiques, de ses questionnements qui s’articulent essentiellement autour de ceux lancinants que voici :
Quels sont les détails sentimentaux et sexuels de la vieillesse ? Quelles sont les alternatives psychologiques au désir sexuel lorsque le feu commence à s’estomper ? En clair, qui sommes-nous, dans nos relations avec la masse de nos sentiments, avec la richesse de nos souvenirs mouvants dans l’espace-temps ?
Le roman « Mémoire de mes putains tristes » est une immersion dans les tréfonds des non-dits d’un homme nonagénaire, qui a passé son existence dans une vie toute de bohême, sans limites.
À un moment précis, l’aiguille du temps le transperce en un certain endroit de sa mémoire. Alors, le compteur s’arrête, puis commence la période du bilan de sa vie tout au long de neuf décennies, vécues sans rendre des comptes et sans amour aussi.
En cet instant décisif, il décide de s’accorder l’occasion d’expérimenter quelque chose de nouveau.
C’est ainsi qu’il se dirige vers la tenancière d’un lupanar, célèbre abbesse s’il en est, qu’il sollicite pour lui fournir une jeune vierge.
Cependant, la courbe des évènements commence, à partir de ce point précis, à prendre de nouvelles bifurcations, formant un ensemble de nœuds qui s’enchevêtrent et se diversifient.
Par ricochet, immanquablement, la narration suit la même courbe, avec la langue si savoureuse de Gabo, ses suggestions exquises, ses illuminations hardies.
Déconcerté, le lecteur découvre, éberlué, que ce nonagénaire demeure étendu, aux côtés de cette adolescente, avec laquelle il vit des évènements imprévus.
C’est que, contre toute attente, ses rapports et ses rencontres avec la nymphe sont ponctués de ruptures soudaines.
De réapparitions inattendues en disparitions tout aussi brusques, le voilà qui ne tarde pas à tomber sérieusement, et sans crier gare, dans le piège de l’amour, à l’âge de quatre-vingt-dix ans !
Au travers du temps psychologique étendu, nous sont révélés les détails précis de la vie du vieil homme. L’écrivain nous livre sans détour la quintessence de son expérience dans la vie, son rapport à son corps, son point de vue sur l’amour et le sexe.
En réponse à une question de la patronne de la maison close au sujet de l’étendue de ses capacités physiques, plus d’une fois mises en doute par ses fréquentes éclipses, avant son mariage avec celle qui ne tardera pas, par la suite, à devenir sa femme, le vieux rétorque « Ne recourent au sexe que ceux qui manquent d’amour ! ».
Quoique le roman ne soit pas bien long, il compte parmi les œuvres ultimes de Gabriel Garcia Marquez, alors au seuil de la vieillesse.
Exprimait-il, ainsi, son angoisse de la vieillesse ? Ou bien le livre recèle-t-il une dimension symbolique, le vieux étant l’homme et l’adolescente la vie, qui préserve intacte sa virginité, en dépit de la succession de générations, de la trajectoire de l’humanité ?
Quoiqu’il en soit, nous pressentirions des questions relatives au temps, à l’amour, au corps, et les lézardes serpentent, inexorablement, les lignes de cette œuvre singulière et enchanteresse.
Quand bien même l’approche marquézienne de la vieillesse rendrait celle-ci imperceptible par l’intéressé, si ce n’est aux yeux d’autrui, cela ne signifie pas pour autant que le vieux ne la sente pas de l’intérieur.
Là, résiderait, peut-être, le secret de son rattachement à la vie, avec passion, et quelle chance de vivre encore et encore !
L’âme pure, tel l’or, le plus précieux des métaux, n’est guère affectée par la rouille, l’usure, l’avilissement ! Et quel bonheur !
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