Traduit par Med Yahya Abdel Wedoud – Taqadomy Fr
Depuis sa première œuvre romanesque, « Dar Salam », dont je lus le manuscrit, avant la parution, Rabie Ould Idoumou s’annonça tout aussi bon narrateur que conteur émérite. À cet égard, je me rappelle une anecdote de la plume de Gabriel Garcia Marquez dans « Comment écrire un roman ».
Un jeune, d’une vingtaine d’années, se présenta à Marquez, en sa qualité de romancier qui venait tout juste de publier son tout premier roman.
Il était au paroxysme de l’extase, ce qui n’échappa guère à la sagacité de Gabriel Garcia. Le jeune lui révéla avoir d’ores et déjà présenté son deuxième roman à son éditeur. Gabo lui conseilla de ne pas se presser. Le jeune écrivain lui parla en ces termes :
« Vous êtes un célèbre écrivain et les gens attendent vos écrits. Par conséquent, vous ne pouvez pas vous risquer à écrire n’importe quoi. Moi, en revanche, je suis inconnu, je peux écrire n’importe quoi ».
Marquez rétorqua aussitôt : « Cet homme, de prime abord, a décidé d’être un piètre écrivain » et prêta ces propos à Mario Vargas Llosa. Il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches.
En effet, il tenait à être un piètre écrivain, du moment qu’il ne se préoccupait guère de tendre vers ces idéaux que sont la perfection, la beauté, la poétique. Au contraire, il se contentait d’étaler son linge narratif maculé sur les lignes du temps. Par la suite, il se cherchera un alibi, sans rapport avec l’esprit créatif. En somme, un acte téméraire qui n’épargne personne.
Je cite cette anecdote pour en faire une lecture inversée, pour dire que Rabie, dès le début, a décidé de devenir un bon écrivain, peu soucieux du tapage de la renommée, du fracas des like sur les réseaux sociaux.
La like-mania fait un tel vacarme qu’il est difficile de distinguer la bonne graine de l’ivraie, d’identifier le bon plant parmi tant d’autres aussi juvéniles qu’immatures, si bien qu’il est ardu de différencier les sons harmonieux dans cette cacophonie. La maîtrise, le perfectionnisme, la beauté et l’art ne s’acquièrent pas aisément, c’est une alchimie.
Éclectique, Rabie s’évertue à enrichir son expérience d’apports culturels divers. Il s’implique dans les détails de la vie quotidienne des gens, s’enfonce profondément dans les intertextes psychologiques, sociaux, économiques de maintes sociétés humaines dans plus d’un continent, ce qui lui vaut un regard foncièrement littéraire si singulier.
Je veux dire par regard un microscope littéraire, cette façon dont l’écrivain voit le monde dans le moindre de ses mouvements infimes. Jusqu’à pouvoir dire, d’une certaine manière, que le vigile de nuit d’une banque ne diffèrerait point, en tant qu’homme, du directeur d’une société multinationale, pas plus que le manguier, lorsqu’il venait à se voir priver de ses fruits, ressentirait des sentiments autres que ceux d’une mère, de toute mère. Telle est l’aptitude à en venir à l’essentiel, avec lucidité, loin de la densité de la matière et de son obscurcissement.
C’est l’atteinte de cette racine humaine commune et la mise en lumière de l’essentiel dans les détails singuliers, par le truchement d’une antanaclase magique, d’une polysémie sublimatoire.
Le recueil « Temicha » est une série de nouvelles qui appartiennent au même microcosme psychologique, social. Loin des schèmes traditionnels préconçus. Il s’agit, en quelque sorte, d’un avatar du « nouveau roman ».
Vis-à-vis de ce que je pourrais appeler « la narration aux temps rapides », voire, « le nouveau roman électronique ». C’est que Rabie est parvenu à une nouvelle forme technique, essentiellement basée sur la simplicité, au summum de la beauté du terme, de sa profondeur créative, non sans complexité philosophique.
L’intertextualité, la corrélation, entre le culturel, le religieux et le spirituel, dans le même texte, est un matériau propice à l’étude, à l’analyse et se manifeste en tant que foyer syncrétique de textes a priori pratiquement indépendants les uns des autres.
D’autant que « le roman est l’unique art littéraire qui n’ait pas encore pris sa forme finale », selon Mikhaïl Bakhtine, ce qui en fait un champ propice à davantage d’expériences, de folies, de digressions iconoclastes par rapport au conventionnalisme et au formalisme figés des cours académiques.
Le style avec lequel Rabie a écrit son recueil, cette intertextualité secrète, mystérieuse entre les textes, ces histoires égrenées de mondes provinciaux véhiculés par le truchement de cette langue époustouflante, emplie de son vécu et imprégnée de ses symboles culturels, tout cela me fait dire que ce recueil de nouvelles nécessite une lecture minutieuse à plus d’un égard, tant économique qu’anthropologique, et pas seulement sous forme d’un article écrit d’une traite.
En dépit du fait que la majorité des textes que comporte le recueil de nouvelles donnent l’impression d’avoir été rédigés en des temps rapides, fugaces, à travers les réseaux sociaux, ils exsudent de temps intenses.
En vérité, l’intensité chronologique n’est pas antonyme de vitesse, de même que la légèreté n’exclut point la lourdeur, pas plus qu’elle n’est altérité ; cette altérité qui, pourtant, la définit, selon Milan Kundera.
L’expérience de vie de l’écrivain, sa culture respectivement riche et profonde, marquent de façon indélébile ces textes.
A mon humble avis, ces textes pourraient constituer une autre faille dans notre intellection et notre discernement des temps rapides, que nous concevons prêts, et des vieilles règles du texte narratif. Ces règles ont été émises à diverses périodes et dans des contextes tout aussi différents.
A cet égard, il serait à propos de souligner que toute œuvre littéraire, qui se voudrait différente, passe outre les règles, devenant, de ce fait, une nouvelle règle, sa propre règle et la source inspiratrice de l’induction de la Voie. La créativité, en son histoire ô combien mirifique, n’est-elle pas transgression des règles ? Et en son acception créatrice, l’art mène la critique, et non le contraire !
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